Nom de l’auteur/autrice :Pantheon Avocats

Droit des sociétés

Abus de droit dans les délibérations sociales : quels moyens d’action pour les associés ?

La notion d’abus de droit au sein des délibérations sociales est une création prétorienne ancienne. Elle s’est rapidement imposée comme un outil redoutable en droit des sociétés. Conçu à l’origine pour sanctionner les abus de majorité, elle s’est rapidement adaptée pour sanctionner les abus de minorité et d’égalité. Abus de majorité : quand la majorité porte atteinte à l’intérêt social Généralement invoqué à l’occasion de la distribution des dividendes, opposant les associés majoritaires — souvent en charge de la direction et bénéficiaires de rémunérations à ce titre — aux associés minoritaires, l’abus de majorité nécessite la démonstration de deux conditions : Concrètement, la délibération litigieuse sera analysée en tenant compte de la situation de la société. Par exemple, une mise en réserve des bénéfices non justifiée par un besoin ou un projet, et mettant l’associé minoritaire dans une situation précaire, est constitutive d’un abus de majorité (Cass. civ. 3e, 12 nov. 2015, n°14-23.716). Il en va de même pour la vente d’un actif à un prix inférieur à celui du marché à une société constituée par les seuls majoritaires (Cass. com., 24 mai 2016, n°14-28.121). Le droit fait peser la charge de la preuve de l’abus sur l’associé minoritaire souhaitant s’en prévaloir. En pratique, cette preuve est souvent difficile à rapporter. La preuve se rapporte par tous moyens. Le minoritaire pourra s’appuyer sur les documents financiers et comptables de la société ainsi que sur les procès-verbaux d’assemblée. Il pourra également recueillir les témoignages d’autres associés afin d’appuyer sa prétention. Enfin, la jurisprudence récente de la Cour de cassation admet désormais les preuves jugées déloyales, lorsque celles-ci sont indispensables à l’exercice du droit à la preuve et proportionnées au but poursuivi. Cela laisse une plus grande marge de manœuvre à l’associé minoritaire, mais il devra veiller à ne pas outrepasser le cadre fixé par cette jurisprudence. La reconnaissance d’un abus de majorité peut entraîner deux types de sanctions : Les associés disposent de deux délais distincts pour solliciter ces sanctions : Un délai de 3 ans pour solliciter la nullité des décisions sociales (ce délai passera à 2 ans en octobre 2025 en vertu de la nouvelle rédaction de l’article 1844-14 du Code civil) ; Un délai de 5 ans pour solliciter l’allocation de dommages et intérêts (Cass. com., 30 mai 2018, n°16-21.022). Abus de minorité et d’égalité : le pouvoir de blocage détourné de sa finalité Généralement moins connus que l’abus de majorité, les abus de minorité et d’égalité supposent que le vote soit contraire à l’intérêt social, tout en favorisant les intérêts du minoritaire. Ce type de situation survient fréquemment lorsque le minoritaire (ou l’associé égalitaire) dispose d’une faculté de blocage. Tel est le cas lorsqu’un associé minoritaire refuse la prorogation du terme de la société dans un but uniquement spéculatif (Cass. civ. 3e, 7 déc. 2023, n°22-18.665), ou lorsqu’un associé à parts égales bloque une opération essentielle pour la société (Cass. com., 21 juin 2023, n°21-23.298). Concernant les sanctions, les associés minoritaires ou à parts égales pourront être condamnés à verser des dommages et intérêts. En outre, le juge pourra désigner un mandataire ad hoc chargé de voter à la place des associés minoritaires défaillants. Les associés ne sont donc pas démunis face à une délibération viciée par un abus, quel que soit leur pourcentage de détention au capital social. Il faut néanmoins garder à l’esprit que, bien qu’efficaces, les actions fondées sur les abus de majorité ou de minorité peuvent s’avérer complexes à caractériser.

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Term sheet : un simple pré-contrat ou un véritable outil de négociation ?

De plus en plus présents en amont des opérations d’investissement, de fusion-absorption ou de scission, les term sheets se sont imposés comme des instruments privilégiés durant les phases de négociation. Véritable feuille de route, le term sheet va encadrer différents aspects des négociations afin de sécuriser l’opération. Le régime juridique des term sheets Le législateur n’encadre pas les term sheets ; ces derniers sont issus de la pratique des affaires et n’ont par conséquent aucune disposition spécifique les concernant. Toutefois, les articles 1112 à 1112-2 du Code civil peuvent trouver application en cas de rupture, d’information ou de divulgation d’information confidentielle Les parties, au sein des term sheets, peuvent aménager les termes clés de leur relation contractuelle, en définissant, par exemple, les modalités de la relation, en décrivant les objectifs de l’opération et les attentes de chacune des parties. De la même manière, les term sheets pourront évoquer certaines conditions préalables à la réalisation de l’opération, telles que l’obtention d’une ligne de crédit. Ces obligations permettent de structurer et de cadrer la relation. Loin d’être inefficaces, elles contribuent à engager chaque partie dans la relation à venir. La définition des termes clés permet également, lors de l’élaboration du contrat final, de réutiliser les définitions convenues entre les parties en annexant par exemple le term sheet au document final. La rédaction d’un term sheet imposent aux parties de se conformer aux exigences de la bonne foi contractuelle. Dès lors, chacune d’elles devra faire preuve de loyauté et de sincérité tant dans la négociation que dans la conclusion du term sheet, en s’interdisant toute manœuvre déloyale ou rupture abusive des pourparlers. Les avantages des term sheets Les term sheets sont plébiscités pour leurs nombreux avantages. En raison de leur forme, ceux-ci présentent une souplesse et une adaptabilité inégalée. Ils permettent également de sécuriser les pourparlers pour chacune des parties. Toutefois, la rédaction d’un tel document doit être faite avec soin et rigueur. Les parties devront prendre garde à ne pas s’entendre sur l’ensemble des éléments essentiels, auquel cas, le term sheet pourrait être qualifiée de contrat et non d’acte préparatoire. La jurisprudence a déjà pu considérer qu’un tel acte était en réalité un contrat au vu de l’accord sur l’entièreté des éléments essentiels : « Ainsi contrairement à ce que soutient la société JMIB, le Term Sheet n’est pas un contrat préparatoire puisque les parties se sont entendues sur tous les éléments du contrat et n’ont laissé en suspens aucun élément essentiel » (CA Paris, 16 juin 2022, n°21/00673). A contrario, il a été jugé qu’un prix de cession ni déterminé ni déterminable au sein d’un term sheet ne pouvait être considéré comme une véritable vente et nécessitait un nouvel accord de volontés des parties (Cass. Com., 6 nov. 2012, n°11-26.582). Véritable outil de négociation, les term sheets sont donc un acte préparatoire au contrat. Néanmoins, leur rédaction devra être rigoureuse afin d’éviter une potentielle requalification en contrat.

Droit commercial

Exercice du droit d’option par le bailleur : pas d’exigence formelle selon la Cour de cassation

Le 27 mars 2025, la troisième chambre civile de la Cour de cassation a rendu un arrêt significatif concernant l’exercice du droit d’option par le bailleur en matière de baux commerciaux (RG n° 23-20.030). Cette décision réaffirme les exigences formelles applicables à l’exercice de ce droit, en précisant que les mentions obligatoires prévues par l’article L. 145-9 du code de commerce ne concernent que le congé délivré par le bailleur, et non l’exercice de son droit d’option. Ainsi, le bailleur, lorsqu’il exerce son droit d’option, n’est pas tenu de respecter des conditions de forme particulières, ni d’inclure des mentions spécifiques telles que le délai de prescription pour contester cette décision ou une motivation explicite. Contexte de l’affaire Dans cette affaire, M. [O] était locataire de locaux commerciaux appartenant à la Société civile immobilière [P] (la bailleresse). Après avoir sollicité le renouvellement de son bail, la bailleresse a, dans un premier temps, proposé un nouveau loyer, puis a finalement exercé son droit d’option en refusant le renouvellement du bail. Le locataire a contesté cette décision en justice, invoquant notamment l’absence de certaines mentions obligatoires dans la notification du refus de renouvellement. Décision de la Cour de cassation La Cour de cassation a rejeté le pourvoi du locataire, confirmant ainsi la décision de la cour d’appel. Elle a jugé que les exigences formelles prévues par l’article L. 145-9 du code de commerce s’appliquent exclusivement au congé délivré par le bailleur, et non à l’exercice de son droit d’option. Par conséquent, le bailleur n’est pas tenu de respecter des conditions de forme spécifiques ni d’inclure des mentions particulières, telles que le délai de prescription pour contester la décision, ou encore de motiver sa décision, lorsqu’il exerce son droit d’option. Implications pratiques Pour les bailleurs comme pour leurs conseils, cette décision sécurise une pratique : le droit d’option peut être exercé librement, sans formalisme particulier, ce qui allège les contraintes procédurales pesant sur le bailleur. Côté preneur, en revanche, il est essentiel de rester vigilant : une lettre de refus de renouvellement, même succincte, peut être parfaitement valable si elle s’inscrit dans l’exercice du droit d’option du bailleur. In fine, cette décision confirme une lecture souple du droit d’option et participe à la stabilité attendue en matière de baux commerciaux. Elle illustre la volonté de la Cour de cassation de ne pas étendre artificiellement les exigences formelles prévues pour les congés à d’autres actes du bailleur, dans une logique de sécurité juridique.

Droit commercial

Agent commercial : Q&A

La qualité d’agent commercial correspond à un statut particulier qui soulève régulièrement de nombreuses questions. Tour d’horizon des questions les plus fréquentes : Qu’est-ce qu’un agent commercial ? Défini par le Code de commerce comme un mandataire indépendant chargé de manière permanente de négocier et éventuellement de conclure, au nom et pour le compte du mandant, des contrats de vente, d’achat, de location ou de prestation de services. Cette définition permet de dresser le portrait de l’agent commercial lequel est un professionnel dont la mission est de représenter un ou plusieurs mandants (entreprise, commerçant, etc.) de manière indépendante et donc hors du cadre d’un contrat de travail, ce qui exclut tout lien de subordination. L’agent commercial peut-il avoir des employés ou déléguer sa mission ? L’agent commercial est un professionnel indépendant et, en tant que tel, demeure libre de son organisation. Il peut, par exemple, recruter du personnel salarié ou mandater lui-même des sous-agents commerciaux. Attention toutefois, certains contrats d’agence incluent une clause « intuitu personae » qui oblige le mandataire à agir en personne. En tout état de cause, il faut garder à l’esprit que l’agent reste seul responsable à l’égard du mandant de l’action de ses salariés et sous-agents. Quelles formalités faut-il remplir pour devenir agent commercial ? Avant de commencer son activité, l’agent commercial a l’obligation de s’immatriculer au Registre Spécial des Agents Commerciaux (RSAC). Par ailleurs une fois l’immatriculation réalisée, l’agent commercial demeure soumis à une obligation de déclaration s’agissant de tout fait de nature à modifier les mentions figurant dans ladite immatriculation. Existe-t-il des incompatibilités professionnelles avec la qualité d’agent commercial ? Plusieurs professions sont exclues de la qualité d’agent commercial, on retrouve ainsi les agents de voyage, les mandataires de l’assurance, les intermédiaires en opération de banque et conseillers en investissement financiers, etc. Sous quelle forme exercer l’activité d’agent commercial ? L’agent commercial peut être une personne physique entrepreneur individuel ou micro entrepreneur s’il respecte les conditions de ce statut, ou encore une société. Il convient de noter qu’exercer son activité en tant que personne physique permet à l’agent commercial ou ses ayants droit d’obtenir, en cas de cessation de contrat due à l’âge, l’infirmité, la maladie ou le décès de l’agent commercial, une indemnité de cessation de contrat. Quelles solutions pour protéger mon patrimoine si je choisis d’exercer en tant qu’entrepreneur individuel ? Il existe plusieurs solutions afin de protéger son patrimoine. D’une part, tout entrepreneur individuel a la possibilité de déclarer insaisissables ses biens fonciers non affectés à son activité professionnelle. D’autre part, depuis le 1er janvier 2011 la loi a créé le statut d’entrepreneur individuel à responsabilité limitée (EIRL) qui permet de constituer un patrimoine professionnel séparé du patrimoine personnel, les créanciers professionnels ne pouvant saisir que le patrimoine professionnel.

Droit commercial

Dol du mandataire et responsabilité civile, attention à la faute du mandant

La Cour de cassation a eu à trancher la question de savoir si la responsabilité civile du mandant était engagée du fait des manœuvres dolosives de son mandataire. Après avoir rappelé que la victime d’un dol est fondée à agir, au choix, en nullité de la convention sur le fondement des articles 1137 et 1178 du Code civil ou en réparation du préjudice sur le fondement des articles 1240 et 1241 du code civil, la Cour précise que : « Si le mandant est, en vertu de l’article 1998 du code civil, contractuellement responsable des dommages subis du fait de l’inexécution des engagements contractés par son mandataire dans les limites du mandat conféré, les manœuvres dolosives du mandataire, dans l’exercice de son mandat, n’engagent la responsabilité du mandant que s’il a personnellement commis une faute, qu’il incombe à la victime d’établir. » En l’espèce, les victimes du dol avaient renoncé à solliciter la nullité de l’acte litigieux pour limiter leur demande à des dommages-intérêts. La Cour de cassation prend position et refuse d’engager la responsabilité du mandant en l’absence de toute faute personnelle de ce dernier. La présente décision se comprend au regard de la nature même du dol, lequel présente deux aspects distincts et complémentaires : d’un côté, le dol apparaît comme un vice du consentement ; d’un autre côté, le dol apparaît comme un délit civil. Or, aux termes de l’article 1138 du Code civil, le dol est constitué s’il émane du représentant, gérant d’affaires, préposé ou porte-fort du contractant ou encore lorsqu’il émane d’un tiers de connivence. Ainsi, la question posée par le pourvoi revient à se demander si admettre la nullité d’un contrat sur le fondement du dol commis par le représentant du contractant implique nécessairement d’admettre la responsabilité civile du mandant du fait des manœuvres dolosives du mandataire ? Ou, au contraire, faut-il, pour que le mandant soit condamné à des dommages-intérêts envers le cocontractant, qu’il ait lui-même commis une faute, ou à tout le moins l’un des faits générateurs de responsabilité civile prévus par les articles 1382, devenu 1240, et suivants du code civil ? La Cour de cassation tranche cette question et répond par l’affirmative : la responsabilité civile du mandant ne peut être engagée que s’il a personnellement commis une faute. Il semble donc qu’il faille désormais distinguer en fonction de la demande formulée par la victime du dol : – Si cette dernière sollicite la nullité : l’article 1138 du code civil s’applique et les seules manœuvres dolosives du mandataire suffisent à emporter la nullité, – Si cette dernière sollicite la réparation de son préjudice : en application des articles 1240 et 1241 du Code civil, la faute personnelle du mandant doit être caractérisée pour engager sa responsabilité civile.